Qui prendra la relève ?


On a aimé Césaire, même si nous l'avons peu lu dans nos cités européennes, cette voix, ce cri de ceux qui n'auront jamais eu la parole sinon pour geindre sous les coups et les insultes des «bons apôtres» moralisateurs, ces mêmes barbares de l'idéologie du rendement comptable, qui mènent notre monde à l'abîme avec toujours les sentiments les plus nobles pour cacher les actes les plus odieux. Juste une citation pour crier par encre interposée que désormais l'esclavage est de mise sur tous les continents, revêt toutes les formes, atteint tous les peuples. De brutale et institutionnalisée (je passe sur les pays coupables, les systèmes appliqués, connus de tous) à insidieuse (sous nos latitude la consommation à outrance et l'addiction aux marques ne sont-elles pas aussi une forme commerciale de mise en esclavage des couches modestes de la population, ou à la précarité s'ajoute ce besoin irrépressible de travailler dur pour s'offrir le dernier joujou ou vêtement à la mode ? avec les exclusions économiques que cela génère).
A la porte du XXI ème siècle ce cri est d'une terrifiante actualité.


-"On aurait peine à s’imaginer ce qu’à pu être pour les Nègres des Antilles la terrible époque qui va du début du XVIIe siècle à la moitié du XIXe siècle, si depuis quelque temps, l’histoire ne s’était chargée de fournir quelques bases de comparaison. Que l’on se représente Auschwitz et Dachau, Ravensbrück et Matthausen, mais le tout à l’échelle immense, celle des siècles, celle des continents, l’Amérique transformée en "univers concentrationnaire", la tenue rayée imposée à toute une race, la parole donnée souverainement aux kapos et à la schlague, une plainte lugubre sillonnant l’Atlantique, des tas de cadavres à chaque halte dans le désert ou dans la forêt et les petits bourgeois d’Espagne, d’Angleterre, de France, de Hollande, innocents Himmlers du système, amassant de tout cela le hideux magot, le capital criminel qui fera d’eux des chefs d’industrie. Qu’on imagine tout cela et tous les crachats de l’histoire et toutes les humiliations et tous les sadismes et qu’on les additionne et qu’on les multiplie et on comprendra que l’Allemagne nazie n’a fait qu’appliquer en petit à l’Europe ce que l’Europe occidentale a appliqué pendant des siècles aux races qui eurent l’audace ou la maladresse de se trouver sur son chemin. L’admirable est que le nègre ait tenu !"-
  • Esclavage et colonisation (1948), Victor Schoelcher, éd. PUF, 1948, Introduction par Aimé Césaire, p. 17-18